- Contrat de travail et accords collectifs
Articulation entre le contrat de travail et les accords collectifs
4 février 2018
Quelques mois après la ratification des ordonnances du 22 septembre 2017, plus communément appelées « Ordonnances Macron », certains points peuvent toujours apparaître obscures.
L’une des questions centrales posées avec cette réforme est celle de l’articulation entre le contrat de travail d’un salarié et les accords d’entreprises négociés, de façon générale, par l’employeurs et les syndicats représentatifs.
Une telle interrogation renvoie à des thèmes plus généraux du droit français tel que la hiérarchie des normes. En effet, comment savoir quelle est la norme qui s’appliquera à une situation donnée, lorsqu’on a entendu pendant plusieurs semaines les concepteurs de cette réforme parler de « renforcement du dialogue social ».
Au cours des deux dernières principales réformes modifiant le droit du travail français, les commentateurs et politiques mettaient en avant une véritable inversion de la hiérarchie des normes. Pour autant, cette affirmation n’est pas tout à fait exacte, et relève plutôt de l’abus de langage, comme l’explique le Professeur Jean-Emmanuel Ray.
En effet, parler d’une inversion de la hiérarchie des normes, sous entendant que le contrat de travail serait alors au-dessus de toutes les autres normes, est faux. Pourtant, cette affirmation n’est pas apparue ex nihilo. En effet, il y a, en matière sociale, une sorte d’inversion de la hiérarchie des normes, bien que cela ne soit pas novateur et s’inscrive plutôt dans la continuité des réformes amorcées dès 1982 par la Loi Auroux.
De ce fait, il est légitime de se questionner sur l’articulation normative ayant lieu entre le contrat de travail et les accords collectifs.
Afin de répondre à un tel questionnement, nous verrons comment le principe de faveur qui a façonné une partie du droit du travail, a vu son contenu vidé de substance à travers les récentes réformes.
Le principe de faveur : une garantie favorable aux salariés
Les effets du principe de faveur sont vérifiables à travers deux hypothèses : lorsque l’accord d’entreprise est plus favorable au contrat de travail du salarié et lorsque l’accord d’entreprise est moins favorable au contrat de travail du salarié.
Première hypothèse : l’accord d’entreprise est plus favorable au contrat de travail du salarié
En cas de dispositions conventionnelles (prévues par l’accord collectif) plus favorables aux salariés, les dispositions de l’accord collectif s’appliquent, tant que l’accord collectif reste valable, et se substituent aux dispositions contractuelles conclues entre le salarié et son employeur.
D’un point de vue juridique, cela est plutôt pertinent. En effet, c’est le rôle même du syndicat, qui négocie avec l’employeur les termes de l’accord conventionnel, de revendiquer pour les salariés de meilleures dispositions ou tout autres avantages pour les salariés qu’il représente.
En revanche, cela peut être une source d’insécurité juridique pour l’employeur.
En effet, celui-ci n’aura plus une vision très claire de l’avenir, et ne saura pas exactement ce qu’il devra à ses salariés. Les dispositions contractuelles claires qu’il aurait inséré au contrat de travail lors de sa conclusion et répondant, par exemple, à des exigences budgétaires, « voleraient en éclat » par la conclusion d’un accord collectif bien plus favorable.Cela mettrait donc à mal son plan d’origine.
D’un point de vue plus pratique, ce dispositif est clairement à l’avantage des salariés.
D’une part, il permet de « limiter » les écarts pouvant exister entre les salariés d’une même entreprise, créant ainsi une dynamique de « rehaussement » ou de « tirage vers le haut ».
D’autre part il compense le fait qu’un salarié n’ait pas su tout envisager lors de la négociation de son contrat de travail.
Deuxième hypothèse : l’accord d’entreprise est moins favorable au contrat de travail du salarié
Lorsque les dispositions conventionnelles négociées entre l’employeur et les organisations syndicales représentatives au sein de l’entreprise sont moins favorable aux salariés, les dispositions de l’accord collectif ne sont pas censées s’appliquer à ces derniers.
En effet, un accord collectif ne saurait prévoir des dispositions moins favorables au salarié que ce qui est prévu dans son contrat de travail.
D’un point de vue juridique, cela semble assez pertinent. En effet, le salarié a conclu son contrat de travail selon des exigences bien précises et des points essentiels pour lui. Il apparaît donc normal que quelque chose qu’il n’a pas prévu à la naissance de la relation de travail s’applique à lui par la suite.
En revanche, d’un point de vue pratique, cela peut tout de même poser plusieurs problèmes.
Tout d’abord, l’accord d’entreprise a été conclu entre l’employeur et les organisations syndicales représentatives ayant une légitimité pour négocier au nom des salariés. De ce fait, cela porte en quelque sorte « atteinte » à la légitimité et représentativité des organisations syndicales puisque peu importe ce qu’elles ont négocié avec l’employeur, ces dispositions ne s’appliqueront pas de façon universelle aux salariés de l’entreprise.
De plus, un problème peut survenir par rapport à l’entreprise elle-même. Les accords d’entreprises sont censés représenter la meilleure situation juridique de la vie de l’entreprise : il serait donc impossible pour l’employeur de s’adapter aux diverses situations qui peuvent se présenter au cours du temps.
Cependant, l’employeur peut tout de même faire appliquer des dispositions conventionnelles qualifiées de « moins favorable » aux salariés seulement s’il obtient au préalable leurs accords. Cela contraste quelque peu avec ce qui va être développé par la suite.
De récentes réformes, réduisant la portée du principe de faveur
Le principe de faveur a été élevé au rang de « principe de droit » par le Conseil d’Etat en 1973, mais n’a jamais obtenu de consécration de la part du Conseil constitutionnel, ce qui a permis au législateur de « l’affaiblir » à sa guise.
Premier constat : un recul de l’intangibilité du contrat
Dans des cas « limitativement » énumérés par la loi, l’employeur n’est plus obligé de se soumettre au principe de faveur : une disposition conventionnelle moins favorable pour le salarié pourra donc s’appliquer.
En effet, l’article L.2254-2 du Code du travail énonce qu’« afin de répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise, ou en vue de préserver, ou de développer l’emploi, un accord d’entreprise peut (…) ». Le cadre est alors posé, mais les contours demeurent flous. Qu’est-ce qu’une « nécessité liée au fonctionnement de l’entreprise » ? Que faut-il entendre par « préserver ou développer l’emploi » ?
Les conditions de mise en jeu de « l’application de plein droit », comme le dispose le troisièmement de l’article susmentionné, semblent assez vagues. De plus, la présence de la conjonction de coordination « ou » et non « et » indique clairement que ces conditions ne sont pas cumulatives, rendant le champ encore plus large.
Un employeur pourrait-il faire appliquer « de plein droit » une disposition conventionnelle défavorable à ses salariés au prétexte de « recruter plus de monde » ? Ou bien parce que son concurrent direct a réalisé un meilleur exercice que lui l’an passé ? Les interrogations demeurent.
Ainsi, le salarié n’a plus son « mot à dire ». Ce qu’il avait négocié contractuellement pourrait ne plus s’appliquer suite à la conclusion d’un accord collectif défavorable.
Toutefois, d’un point de vue pratique, cette réforme semble véritablement aller dans le sens de ce que souhaitaient les employeurs : plus de flexibilité, afin de s’adapter à un marché de plus en plus rude.
De plus, le cadre légalement défini, bien que flou, laisse entendre que l’employeur ne pourra procéder de la sorte qu’en cas de besoin, ou pour la poursuite d’objectifs clairement définis. Cela est alors favorable à la « survie » de l’entreprise et donc, par extension, aux emplois qui y sont liés.
Enfin, les accords d’entreprises sont, en principe, négociés. Les organisations syndicales auront un poids dans les négociations des ces accords (nous n’envisageront pas ici les cas où l’employeur pourra promulguer un accord collectif sans l’accord syndical, même en présence de représentant) qui devront être signés à la majorité d’entre elles, ce qui rend de facto l’accord plus difficile à s’appliquer.
Il faut tout de même noter que le salarié, même s’il est lié à l’employeur par un lien de subordination, reste libre de ses choix. Il peut tout à fait refuser de se voir appliquer ces dispositions conventionnelles défavorables, mais non sans risque.
Deuxième constat : une « divergence » de volonté, sanctionné par l’employeur ?
Si l’accord du salarié n’est plus véritablement une condition préalable à l’application d’une disposition conventionnelle défavorable, le salarié peut toujours refuser que celle-ci lui soit applicable.
En effet, le salarié dispose d’un délai d’un mois pour faire connaître son refus auprès de son employeur. Cependant, en cas de refus, l’employeur pourra procéder à son encontre à un licenciement pour cause réelle et sérieuse.
Il semble que soit donc apparue une nouvelle forme de licenciement, une cause de licenciement sui generis, qui n’est ni un licenciement pour fait personnel, ni un licenciement économique, mais qui repose sur un motif spécifique, inhérent à l’accord.
Le juge, d’ordinaire gardien de la légitimité d’un licenciement, semble donc perdre son pouvoir d’appréciation face à celui-ci, puisque la loi précise d’emblée qu’il est justifié.
De ce fait, le salarié a-t-il véritablement une liberté de choix dans la mesure où son refus peut le conduire à un licenciement ?
Aucune réponse à cette question ne peut être objectivement apportée ici : tout dépend de l’état d’esprit de chacun. Il a d’autant plus été envisagé ici le cas le plus extrême : aucune obligation légale ne contraint l’employeur à procéder au licenciement. Il faudra donc attendre avant de voir apparaître les premières statistiques à ce sujet.
•• SOURCES >>>
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